La maison de Claudine by Colette

La maison de Claudine by Colette

Author:Colette
Format: epub


La Toutouque

Large et basse comme un porcelet de quatre mois, jaune et rase de poil, masquée largement de noir, elle ressemblait plutôt à un petit mastiff qu’à un bouledogue. Des ignares avaient taillé en pointe ses oreilles coquillardes, et sa queue au ras du derrière. Mais jamais chienne ou femme au monde ne reçut, pour sa part de beauté, des yeux comparables à ceux de la Toutouque. Quand mon frère aîné, volontaire au chef-lieu, la sauva, en l’amenant chez nous, d’un règlement imbécile qui condamnait à mort les chiens de la caserne, et qu’elle posa sur nous son regard couleur de vieux madère, à peine inquiet, divinateur, étincelant d’une humidité pareille à celle des larmes humaines, nous fûmes tous conquis, et nous donnâmes à la Toutouque sa large place devant le feu de bois. Nous appréciâmes tous – et surtout moi, petite fille – sa cordialité de nourrice, son humeur égale. Elle aboyait peu, d’une voix grasse et assourdie de dogue, mais parlait d’autre manière, donnant son avis d’un sourire à lèvres noires et à dents blanches, baissant, d’un air complice, ses paupières charbonnées sur ses yeux de mulâtresse.

Elle apprit nos noms, cent paroles nouvelles, les noms des chattes, aussi vite que l’eût fait un enfant intelligent. Elle nous adopta tous dans son cœur, suivit ma mère à la boucherie, me fit un bout de conduite quotidienne sur le chemin de l’école. Mais elle n’appartenait qu’à ce frère aîné qui l’avait sauvée de la corde ou du coup de revolver. Elle l’aimait au point de perdre contenance devant lui. Pour lui elle devenait sotte, courbait le front et ne savait plus que courir au-devant des tourments qu’elle espérait comme des récompenses. Elle se couchait sur le dos, offrait son ventre, clouté de tétines violacées sur lesquelles mon frère pianotait, en les pinçant à tour de rôle, l’air du Menuet de Boccherini. Le rite commandait qu’à chaque pinçon la Toutouque jetât – elle n’y manquait point – un petit glapissement, et mon frère s’écriait, sévère : « Toutouque ! vous chantez faux ! Recommencez ! » Il n’y mettait aucune cruauté, un effleurement arrachait, à la Toutouque chatouilleuse, une série de cris musicaux et variés. Le jeu fini, elle demeurait gisante et réclamait : « Encore ! »

Mon frère lui rendait tendresse pour tendresse, et composa pour elle ces chansons qui s’échappent de nous dans des moments de puérilité sauvage, ces enfants étranges du rythme, du mot répété, épanouis dans le vide innocent de l’esprit. Un refrain louait la Toutouque d’être :



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